La révolution technologique, l’élargissement des marchés et la désintégration des corpus sociaux ont suivi les accélérations d’un capitalisme de plus en plus prédateur depuis la fin des années soixante-dix. L’État social (appelé Welfare) s’est transformé en un handicap, entraînant la désindustrialisation de sociétés prospères, passant au secteur tertiaire. Par la suite, elles ont connu un déclin démographique dû à la contraception, à l’avortement, à l’augmentation de l’âge du mariage et au coût croissant de la vie.
Pendant plus de deux décennies, le tiers-monde asiatique et l’ancien espace soviétique se sont développés ininterrompument pour produire à des coûts avantageux, conduisant à l’émergence d’une concurrence “déloyale” contre l’Europe. La technologie s’est largement déplacée vers l’Asie, et, finalement, ce que l’on appelle l’Occident en est devenu dépendant. La Chine, en particulier, est devenue un acteur mondial de premier plan avant de rencontrer quelques obstacles, tant économiques que démographiques, qui ne l’ont cependant pas reléguée.
Ces dernières années, des préoccupations ont émergé concernant le prétendu “dépassement” chinois, accompagné de proclamations démagogiques sur la “dédollarisation”, marquées par des appels à une plus grande justice économique et à la liberté, alimentés par des pays dont les systèmes et les cultures étaient et sont plus esclavagistes que basés sur des classes (Chine, Russie, pétro-monarchies). Mais, comme on le sait, le cynisme est moqueur.
Paradoxalement, le sentiment de déclin irréversible s’est affirmé chez nous juste quand les choses ont commencé à aller à l’encontre de la tendance. L’anarchie mondialisée a en effet trouvé des points critiques, et depuis quelques années maintenant (certainement depuis 2020, mais perceptible depuis 2016), les chaînes d’approvisionnement et les sites de production ont commencé à se diversifier, créant une série de systèmes parallèles caractérisés par l’interdépendance mais aussi par la reprise du contrôle industriel à domicile.
Aujourd’hui, l’Europe est aux prises avec la grande reprise américaine, qui utilise l’aide insensé de Moscou pour contenir et empêcher la sienne, déjà compliquée en raison de l’absence de souveraineté continentale. Cependant, certains signaux sont incontestables même ici : l’automatisation, la robotique, l’intelligence artificielle rendent le travail moins nécessaire, assurant des gains significatifs dans de nombreux cas. Cela met bien sûr des emplois en danger, mais c’est un problème relatif étant donné que les emplois requis sont de plus en plus qualifiés et que la question démographique est pressante. La robotique peut donc pallier l’excès d’immigration. La taxation des profits pourrait être reconvertie en formation et en mobilisation pour recréer un corps social et une éthique existentielle qui contribuent à tout transformer en une société qui n’est plus libéral-capitaliste ou communiste. Des tâches auxquelles nous devons nous consacrer avec persévérance et ténacité.
Jusqu’à ce que l’on affronte la réalité de manière constructive, on n’obtiendra que des visions apocalyptiques et désespérées. Ceux qui ne réalisent que maintenant ce qui était évident depuis les années 90 et ne regardent pas les prémisses de quelque chose de très différent, sont destinés à tourner en rond avec angoisse.
L’engagement doit être orienté vers quelque chose de sérieux et solide, plutôt que d’applaudir une catastrophe ou un tyran “libérateur” exotique. Il s’agit de concevoir et de construire l’alternative dans la tendance à la croissance et à la modernisation européennes. Cela, d’un point de vue politique et économique. Mais, au-delà et au-dessus de cela, un engagement culturel et spirituel est nécessaire pour redresser l’échine, retrouver l’esprit ancien et balayer les psychopathies d’une certaine bourgeoisie gâtée qui prétend parler au nom de tous en exprimant des utopies de gauche irréalistes qui font sourire même les sinistres trafiquants d’esclaves et oppresseurs de peuples, que certains plaisantins prétendraient représenter l’alternative “traditionnelle” (sic !) à ce qui, bien que décadent, reste le berceau de la civilisation et la promesse de sa pérennité.