Une passion de plus de quatre décennies
Il y a quarante et un ans, le 24 novembre 1980, vers six heures du matin, je mettais les pieds à Paris pour la première fois, en descendant à la Gare de Lyon d’un train de nuit de Briançon. La veille, alors que, dans la région de Naples, le Sarno était dévasté par les éléments, j’avais franchi le col de Sestrière.
Je me suis retrouvé dans un monde différent de celui dans lequel j’avais vécu jusque-là. Un monde beaucoup plus cosmopolite et plus identitaire à la fois. La vie coûtait au moins deux fois plus qu’à Rome, mais elle était plus vécue. Les appartements des Français étaient toujours ouverts pour des réceptions impromptues, les rues étaient pleines même la nuit, les boites bondées. L’une des choses qui, au cours des décennies suivantes, aurait le plus étonné mes amis en visite en Italie c’est l’absence de vie nocturne en dehors des zones très centrales et, à l’exception de la Vénétie, le peu d’alcool que les Italiens boivent.
Quand je suis arrivé à Paris, en fait, je ne buvais pas. Ensuite, j’ai rattrapé le temps perdu.
Si différents et si semblables
Il y a en Europe une identité fondamentale qui s’exprime dans des diversités apparemment infranchissables.
Dans mes pays d’adoption (France et Espagne), c’était toujours comme ça. L’important est de saisir l’identité essentielle et de savoir la conjuguer avec la forme locale. C’est évidemment la logique impériale qui n’annule pas, mais exalte en les synthétisant, les identités nationales et régionales.
Ceux qui, à tort, pensent que nous avons trop de différences fondamentales entre nous et, par conséquent, en raison de leur ignorance et d’un complexe d’infériorité déguisé en orgueil, se réfugient dans le nationalisme, ne réalisent pas que les différences entre Italiens, Espagnols, Français, Grecs et Allemands ne sont pas supérieurs, voire souvent mineurs, par rapport à celles entre les Calabrais, les Emiliens, les Sardes, les Ligures et les Romains.
Il suffit de savoir respirer, de ressentir de l’empathie. Alors, de même qu’on peut saisir Milan ou Naples en y vivant un temps, cela se passe aussi à Paris.
Cette grandeur
A l’époque, il y avait dans les deux pays la grandeur du politique, mais il y avait aussi de la diversité. Les grands hommes politiques italiens étaient de nouveaux Giolitti, comme Andreotti, Forlani, le même Moro ; les Français étaient des monarques républicains : Giscard, Mitterrand, même Chirac.
La vivacité intellectuelle, culturelle et politique de l’environnement que l’on définirait aujourd’hui en Italie comme “area” était remarquable, là comme ici. Il y avait une chose qui chez nous aurait mis au moins quinze ans à se manifester : la séparation entre intellectuels et militants. Ici, personne qui n’était d’abord militant pouvait se permettre d’écrire ou de parler, et c’était bien, puis nous sommes entrés dans le déclin.
Chez eux, cependant, dans la vie de tous les jours, n’importe qui, y compris les intellectuels, étaient humblement camarades. Comment les Français nous ont accueillis, comment ils nous ont nourris, comment ils nous ont soutenus, c’est quelque chose qui ne peut même pas être imaginé et qui ne serait certainement pas arrivé ici, et qui n’arrivera certainement par la suite.
Témoins du café
Nous n’étions pas plus nombreux qu’une formation de volleyeurs, les gauchistes par contre étaient des centaines et furent accueillis par la bourgeoisie au caviar.
Qui se souvient de ce qu’était alors le café en France et le compare à aujourd’hui, aussi bien dans de nombreux bistrots que chez des particuliers, ne peut qu’être surpris. Je suis convaincu que la diaspora rouge a appris à la bourgeoisie parisienne à boire du café. Les aspects inattendus des vicissitudes de la vie sont surprenants, il suffit de les observer avec détachement et ironie.
Il n’y a pas de comparaison
Le temps a passé et le niveau général – culturel, intellectuel, existentiel et politique – s’est effondré là comme ici. On assiste ici au militantisme du # et du selfie, accompagné des masturbations intellectuelles et banales des narcissiques de seconde main qu’on emprunte à quatre-vingt pour cent aux échecs des autres. Ici, a même fait son chemin cette drôle de chose appelée “souverainisme”, si contre nature et anti-italienne dans l’ADN avant même d’être notre ennemi et le serviteur des loges anglaises.
Même en France, cependant, le niveau s’est effondré de manière ruineuse, en tant qu’hommes d’État et politiques, au point qu’un Macron qui à l’époque aurait été un fonctionnaire, n’est pas seulement le Président mais est un géant par rapport à tous ses rivaux. Un effondrement que l’on retrouve dans tous les milieux politiques et culturels. La droite radicale elle-même a presque totalement perdu ses références littéraires, historiques, culturelles et idéales, à tel point qu’une partie s’en rattache dans sa fluidité de genre au paladin berbère et israélite Zemmour qui, en plus d’être porteur de stratégies ennemies et l’expression des lobbies du pouvoir et de l’argent, est aussi un protagoniste patent de ce Grand Remplacement de la population qu’il dénonce lui-même avec le culot le plus effronté.
41 ans plus tard, la comparaison est impitoyable. Autant dire que le maire de Paris était alors Chirac et aujourd’hui c’est Mme Hidalgo…