Le monde avance comme dans le scénario du “Guépard”, selon l’expression : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». *
Ou si vous préférez, pour citer Coluche : “Plus ça change, et plus c’est la même chose!”
Les sphères politiques critiques ou « antagonistes » appliquent des schémas abstrus, obsolètes et irréalistes.
Paradoxalement, cela est bien plus évident à droite, bien que le vent actuel souffle en sa faveur, qu’à gauche.
Nous ne sommes pas en présence d’un bloc du “Sud Global” contre l’Occident, et encore moins du triomphe tant vanté des peuples sur les oligarchies.
Nous assistons à un changement de paradigme qui se reflète à la fois dans les politiques nationales et dans le cadre international.
Nous sommes en pleine
crise de transition d’une ampleur historique, où se réécrivent la géoéconomie et la géoénergie, redistribuant les cartes dans un paysage de multilatéralisme et surtout de multialignement. Cela redéfinit les hiérarchies sur la base d’un binôme encore déséquilibré entre les États-Unis et la Chine, et d’un groupe de puissances petites, moyennes-petites ou potentielles (parmi lesquelles l’Europe).
La Mondialisation elle-même est en mutation
avec des tendances à la fois centripètes et centrifuges, qui génèrent une interconnexion croissante entre tous les acteurs, tout en créant des zones diversifiées et relativement séparées.
Le rôle de l’État revient partiellement sur le devant de la scène, mais de manière incomplète. Plus fort dans le décisionnisme interne, il est moins souverain en matière de technologie, d’économie et de communication.
Ce qui est évident, c’est que la classe des figures politiques médiatiques et la cour des progressistes — axés sur les questions de genre et l’agenda woke — ne sont plus capables de représenter les intérêts des groupes économiques, ni d’expliquer les changements, encore moins de les faire accepter par les gens. Pire encore : ils prétendent imposer des tendances idéologiques complètement déconnectées de la réalité actuelle.
C’est là qu’émerge le populisme
Lorsqu’il se manifeste de manière démagogique et opportuniste, il finit par être contrôlé, comme ce fut le cas du gouvernement jaune-vert en Italie (pour ceux qui suivent les événement politiques transalpins), qui accepta Giuseppe Conte comme tuteur imposé et devint tout l’opposé de ce qu’il prétendait être.
Les choix populistes réalistes, qui s’alignent sur la réalité, sont d’une nature différente, comme le gouvernement Meloni en Italie.
Je ne veux pas ici évaluer le phénomène Trump 2 ni là où il peut conduire.
Je me limiterai à considérer
les faits objectifs
Le premier est qu’il réagit avec force, y compris par des purges, contre la classe des scribes et des commissaires politiques libéraux — une sorte de maccarthysme doux.
Le second est que presque tout l’establishment soutient désormais Trump : de la Silicon Valley à Starlink, de Wall Street aux figures s’étant récemment alignées comme Bezos et Zuckerberg.
Si cela représente un changement significatif (je ne parlerais pas de révolution), que ce soit pour le meilleur, pour le pire, ou dans les deux sens, cela ne sera possible que parce qu’il y a eu un lien entre les structures fondamentales d’un système et les forces innovantes.
C’est ce qui s’est produit avec Napoléon, Mussolini, De Gaulle et Perón.
Dans ces cas, on peut effectivement parler de révolutions ou, du moins, de changements radicaux.
Et — pour l’amour du Ciel ! — ne prenez pas cela comme une équivalence entre Trump et ces figures ; je parle de dynamiques, pas de valeurs, de principes ou de modèles.
Ces dynamiques
sont les seules capables d’imposer des changements, voire des révolutions.
Le populisme antagoniste, en revanche, ne peut s’emparer du pouvoir que dans un vide et n’accomplit jamais rien de bon. Pensez aux Jacobins ou aux Bolcheviks. Ils ont toujours besoin que quelqu’un intervienne pour colmater leurs brèches, les sauver de l’échec et les remettre en ligne, en les télécommandant.
Ainsi, ils deviennent des instruments de la finance étrangère ou apatride et n’accomplissent jamais rien de viable.
Il y a un autre élément à prendre en considération
dans l’avènement de Trump 2 : la capacité de synthèse, que l’on pourrait appeler un « archéofuturisme à l’américaine », qui combine des éléments rétrogrades servant de liant à des éléments futuristes jouant le rôle de solvant. Cette synthèse est incarnée par Elon Musk, qui avance dans des directions bien plus sensées que celles de l’Alt-Right, laquelle a eu le mérite technique de poser des alternatives culturelles sur la table.
Encore une fois, je précise : je ne porte aucun jugement sur cette composante ici, je parle de son rôle, tout comme j’aurais pu parler des Illuminés de Bavière.
Quand j’ai écrit Le Nouvel Ordre Mondial entre Impérialisme et Empire en 2002
pour les éditions Barbarossa **, je soutenais — et je le répétais dans chaque présentation — que les changements d’orientation viendraient des classes dirigeantes progressistes (comme la doctrine Macron, laquelle s’avèra malheureusement une illusion, ou des figures comme Elon Musk).
J’affirmais que le changement viendrait d’abord de la tête du système.
C’est précisément ce qui se passe.
Pour dissiper tout malentendu : je ne fais pas l’éloge de Trump ni du système en mutation.
Pour moi, ce ne sera une bonne chose que si et lorsque cela se produira en Europe, et je suis convaincu que, si cela arrive ici, ce sera d’une manière très différente.
Je suis également pleinement conscient que ces « Capitaines America » chercheront à faire avancer leurs intérêts, souvent à nos dépens.
Ce que je veux souligner ici, ce sont les éléments fondamentaux de cette dynamique
qui se perçoit comme radicalement innovatrice et se présente comme telle. Cette dynamique laissera sans aucun doute une empreinte sur la conception future des classes dirigeantes, les formes de censure, le langage courant et même l’ingénierie sociale, qui sera probablement moins woke.
Mais ce que j’espère vraiment, c’est que nous tirions la leçon, qui est très claire : l’antagonisme est stérile ; le populisme absolu est opportuniste et sans perspectives ; il n’y a aucun pouvoir à conquérir pour une révolution fondée sur la frustration et le vide.
Ce qui compte, c’est de jouer un rôle actif
dans la production d’un imaginaire, dans la coordination des autonomies et dans la génération de nouveaux pouvoirs capables d’intervenir — selon une logique de domino — dans les changements « archéofuturistes » qui, espérons-le, se produiront en Europe.
Nous devons donc abandonner de nombreux préjugés-fardeaux auxquels nous nous sommes habitués avec le temps, qui nous figent et nous recouvrent de moisissure, nous transformant souvent en OGM remuant la queue derrière les flûtistes des autres.
*C’est un roman sur le Risorgimento italien en Sicile, universalement rendu célèbre par le film homonyme de Visconti, magistralement interprété par Burt Lancaster, Alain Delon, Claudia Cardinale et Paolo Stoppa.
** Il n’y a pas de version française de cet ouvrage.